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_Avec Privilege de Sa Majeste._
M.DC.XCVII.
TABLE
des Contes de ce Recueil.
_La belle au bois dormant_ p. 7
_Le pet.i.t chaperon rouge_ p. 20
_La Barbe bleue_ p. 23
_Le Maistre Chat, ou le Chat Botte_ p. 30
_Les Fees_ p. 37
_Cendrillon, ou la pet.i.te pantoufle de verre_ p. 41
_Riquet a la Houppe_ p. 50
_Le pet.i.t Poucet_ p. 60
A
MADEMOISELLE
MADEMOISELLE,
_On ne trouvera pas etrange qu'un Enfant ait pris plaisir a composer les Contes de ce Recueil, mais on s'etonnera qu'il ait eu la hardiesse de vous les presenter. Cependant,_ MADEMOISELLE, _quelque disproportion qu'il y ait entre la simplicite de ces Recits, & les lumieres de vostre esprit, si on examine bien ces Contes, on verra que je ne suis pas aussi blamable que je le parois d'abord. Ils renferment tous une Morale tres-sensee, & qui se decouvre plus ou moins, selon le degre de penetration de ceux qui les lisent; d'ailleurs comme rien ne marque tant la vaste estendue d'un esprit, que de pouvoir s'elever en meme-temps aux plus grandes choses, & s'abaisser aux plus pet.i.tes; on ne sera point surpris que la meme Princesse, a qui la Nature & l'education ont rendu familier ce qu'il y a de plus eleve, ne dedaigne pas de prendre plaisir a de semblables bagatelles. Il est vray que ces Contes donnent une image de ce qui se pa.s.se dans les moindres Familles, ou la louable impatience d'instruire les enfans, fait imaginer des Histoires depourveues de raison, pour s'accommoder a ces memes enfans qui n'en ont pas encore; mais a qui convient-il mieux de connoitre comment vivent les Peuples, qu'aux Personnes que le Ciel destine a les conduire? Le desir de cette connoissance a pousse des Heros, & meme des Heros de vostre Race, jusque dans des huttes & des cabanes, pour y voir de pres & par eux-memes ce qui s'y pa.s.soit de plus particulier: Cette connoissance leur ayant paru necessaire pour leur parfaite instruction. Quoi qu'il en soit,_ MADEMOISELLE,
Pouvois-je mieux choisir pour rendre vrai-semblable Ce que la Fable a d'incroyable?
Et jamais Fee, au tems jadis Fit-elle a jeune Creature, Plus de dons, & de dons exquis, Que vous en a fait la Nature.
_Je suis avec un tres-profond respect,_
MADEMOISELLE,
De Votre Altesse Royale,
Le tres-humble & tres-obeissant serviteur,
P. DARMANCOUR.
LA BELLE AU BOIS DORMANT
_CONTE._
Il estoit une fois un Roi & une Reine, qui estoient si faschez de n'avoir point d'enfans, si faschez qu'on ne scauroit dire. Ils allerent a toutes les eaux du monde, voeux, pelerinages, menues devotions; tout fut mis en oeuvre, & rien n'y faisoit: Enfin pourtant la Reine devint grosse, & accoucha d'une fille: on fit un beau Baptesme; on donna pour Maraines a la pet.i.te Princesse toutes les Fees qu'on pust trouver dans le Pays, (il s'en trouva sept,) afin que chacune d'elles luy faisant un don, comme c'estoit la coustume des Fees en ce temps-la, la Princesse eust par ce moyen toutes les perfections imaginables. Apres les ceremonies du Baptesme toute la compagnie revint au Palais du Roi, ou il y avoit un grand festin pour les Fees. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un estui d'or ma.s.sif, ou il y avoit une cuillier, une fourchette, & un couteau de fin or, garni de diamans & de rubis. Mais comme chacun prenoit sa place a table, on vit entrer une vieille Fee qu'on n'avoit point priee parce qu'il y avoit plus de cinquante ans qu'elle n'estoit sortie d'une Tour, & qu'on la croyoit morte, ou enchantee. Le Roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un estuy d'or ma.s.sif, comme aux autres, parce que l'on n'en avoit fait faire que sept pour les sept Fees. La vieille crut qu'on la meprisoit, & grommela quelques menaces entre ses dents: Une des jeunes Fees qui se trouva aupres d'elle, l'entendit, & jugeant qu'elle pourrait donner quelque facheux don a la pet.i.te Princesse, alla des qu'on fut sorti de table, se cacher derriere la tap.i.s.serie, afin de parler la derniere, & de pouvoir reparer autant qu'il luy seroit possible le mal que la vieille auroit fait. Cependant les Fees commencerent a faire leurs dons a la Princesse. La plus jeune luy donna pour don qu'elle seroit la plus belle personne du monde, celle d'apres qu'elle auroit de l'esprit comme un Ange, la troisieme qu'elle auroit une grace admirable a tout ce qu'elle feroit, la quatrieme qu'elle danseroit parfaitement bien, la cinquieme qu'elle chanteroit comme un Rossignol, & la sixieme qu'elle joueroit de toutes sortes d'instrumens dans la derniere perfection. Le rang de la vieille Fee estant venu, elle dit en branlant la teste, encore plus de depit que de vieillesse, que la Princesse se perceroit la main d'un fuseau, & qu'elle en mourroit. Ce terrible don fit fremir toute la compagnie, & il n'y eut personne qui ne pleurat. Dans ce moment la jeune Fee sort.i.t de derriere la tap.i.s.serie, & dit tout haut ces paroles: Ra.s.surez-vous Roi et Reine, vostre fille n'en mourra pas: il est vrai que je n'ay pas a.s.sez de puissance pour defaire entierement ce que mon ancienne a fait. La Princesse se percera la main d'un fuseau; mais au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un Roi viendra la reveiller. Le Roi pour tacher d'eviter le malheur annonce par la vieille, fit publier aussi tost un Edit, par lequel il deffendoit a toutes personnes de filer au fuseau, ny d'avoir des fuseaux chez soy sur peine de la vie. Au bout de quinze ou seize ans, le Roi & la Reine estant allez a une de leurs Maisons de plaisance, il arriva que la jeune Princesse courant un jour dans le Chateau, & montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon dans un pet.i.t galletas, ou une bonne Vieille estoit seule a filer sa quenouille. Cette bonne femme n'avoit point ou parler des deffenses que le Roi avoit faites de filer au fuseau. Que faites-vous-la, ma bonne femme, dit la Princesse; je file, ma belle enfant, luy repondit la vieille qui ne la connoissoit pas. Ha! que cela est joli, reprit la Princesse, comment faites-vous?
donnez-moy que je voye si j'en ferois bien autant. Elle n'eust pas plutost pris le fuseau, que comme elle estoit fort vive, un peu estourdie, & que d'ailleurs l'Arrest des Fees l'ordonnoit ainsi, elle s'en perca la main, & tomba evanouie. La bonne vieille bien embarra.s.see, crie au secours: on vient de tous costez, on jette de l'eau au visage de la Princesse, on la dela.s.se, on luy frappe dans les mains, on luy frotte les temples avec de l'eau de la Reine de Hongrie; mais rien ne la faisoit revenir. Alors le Roy, qui estoit monte au bruit, se souvint de la prediction des Fees, & jugeant bien qu'il falloit que cela arrivast, puisque les Fees l'avoient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d'or & d'argent; on eut dit d'un Ange, tant elle estoit belle; car son evanouiss.e.m.e.nt n'avoit pas oste les couleurs vives de son teint: ses joues estoient incarnates, & ses levres comme du corail: elle avoit seulement les yeux fermez, mais on l'entendoit respirer doucement, ce qui faisoit voir qu'elle n'estoit pas morte. Le Roi ordonna qu'on la laissast dormir en repos, jusqu'a ce que son heure de se reveiller fust venue. La bonne Fee qui luy avoit sauve la vie, en la cond.a.m.nant a dormir cent ans, estoit dans le Royaume de Mataquin, a douze mille lieues de la lorsque l'accident arriva a la Princesse; mais elle en fut avertie en un instant par un pet.i.t Nain, qui avoit des bottes de sept lieues, (c'estoit des bottes avec lesquelles on faisoit sept lieues d'une seule enjambee.) La Fee part.i.t aussi tost, & on la vit au bout d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traisne par des dragons. Le Roi luy alla presenter la main a la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu'il avoit fait; mais comme elle estoit grandement prevoyante, elle pensa que quand la Princesse viendroit a se reveiller, elle seroit bien embara.s.see toute seule dans ce vieux Chateau: voicy ce qu'elle fit. Elle toucha de sa baguette tout ce qui estoit dans ce Chasteau, (hors le Roi & la Reine) Gouvernantes, Filles-d'Honneur, Femmes-de-Chambre, Gentilshommes, Officiers, Maistres-d'Hostel, Cuisiniers, Marmitons, Galopins, Gardes, Suisses, Pages, Valets-de-pied; elle toucha aussi tous les chevaux qui estoient dans les Ecuries, avec les Palfreniers, les gros matins de ba.s.se cour, & la pet.i.te Pouffe, pet.i.te chienne de la Princesse, qui estoit aupres d'elle sur son lit. Des qu'elle les eust touchez, ils s'endormirent tous, pour ne se reveiller qu'en meme temps que leur Maistresse, afin d'estre tout prests a la servir quand elle en auroit besoin: les broches memes qui estoient au feu toutes pleines de perdrix & de faizans s'endormirent, & le feu aussi. Tout cela se fit en un moment; les Fees n'estoient pas longues a leur besogne. Alors le Roi & la Reine apres avoir baise leur chere enfant sans qu'elle s'eveillast, sortirent du Chasteau, & firent publier des deffenses a qui que ce soit d'en approcher. Ces deffenses n'estoient pas necessaires, car il crut dans un quart-d'heure tout au tour du parc une si grande quant.i.te de grands arbres & de pet.i.ts, de ronces & d'epines entrela.s.sees les unes dans les autres, que beste ny homme n'y auroit pu pa.s.ser: en sorte qu'on ne voyoit plus que le haut des Tours du Chasteau, encore n'estoit-ce que de bien loin. On ne douta point que la Fee n'eust encore fait la un tour de son metier, afin que la Princesse pendant qu'elle dormiroit, n'eust rien a craindre des Curieux.
Au bout de cent ans, le Fils du Roi qui regnoit alors, & qui estoit d'une autre famille que la Princesse endormie, estant alle a la cha.s.se de ce coste-la, demanda ce que c'estoit que des Tours qu'il voyoit au dessus d'un grand bois fort epais, chacun luy repondit selon qu'il en avoit ou parler. Les uns disoient que c'estoit un vieux Chateau ou il revenoit des Esprits; les autres que tous les Sorciers de la contree y faisoient leur sabbat. La plus commune opinion estoit qu'un Ogre y demeuroit, & que la il emportoit tous les enfans qu'il pouvoit attraper, pour les pouvoir manger a son aise, & sans qu'on le pust suivre, ayant seul le pouvoir de se faire un pa.s.sage au travers du bois. Le Prince ne scavoit qu'en croire, lors qu'un vieux Paysan prit la parole, & luy dit: Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j'ay ou dire a mon pere, qu'il y avoit dans ce Chasteau une Princesse, la plus belle du monde; qu'elle y devoit dormir cent ans, & qu'elle seroit reveillee par le fils d'un Roy, a qui elle estoit reservee. Le jeune Prince a ce discours se sent.i.t tout de feu; il crut sans balancer qu'il mettroit fin a une si belle avanture, & pousse par l'amour & par la gloire, il resolut de voir sur le champ ce qui en estoit. A peine s'avanca-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces & ces epines s'ecarterent d'elles-mesmes pour le laisser pa.s.ser: il marche vers le Chasteau qu'il voyoit au bout d'une grande avenue ou il entra, & ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avoient pu suivre, parce que les arbres s'estoient rapprochez des qu'il avoit este pa.s.se. Il ne laissa pas de continuer son chemin: un Prince jeune & amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avancour ou tout ce qu'il vit d'abord estoit capable de le glacer de crainte: c'estoit un silence affreux, l'image de la mort s'y presentoit par tout, & ce n'estoit que des corps etendus d'hommes & d'animaux, qui paroissoient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonne, & a la face vermeille des Suisses, qu'ils n'estoient qu'endormis, & leur ta.s.ses ou il y avoit encore quelques goutes de vin, montroient a.s.sez qu'ils s'estoient endormis en beuvant. Il pa.s.se une grande cour pavee de marbre, il monte l'escalier, il entre dans la salle des Gardes qui estoient rangez en haye, la carabine sur l'epaule, & ronflans de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes & de Dames, dormans tous, les uns de bout, les autres a.s.sis; il entre dans une chambre toute doree, & il vit sur un lit, dont les rideaux estoient ouverts de tous cotez, le plus beau spectacle qu'il eut jamais veu: Une Princesse qui paroissoit avoir quinze ou seize ans, & dont l'eclat resplendissant avoit quelque chose de lumineux & de divin. Il s'approcha en tremblant & en admirant, & se mit a genoux aupres d'elle. Alors comme la fin de l'enchantement estoit venue, la Princesse s'eveilla; & le regardant avec des yeux plus tendres qu'une premiere veue ne sembloit le permettre; est-ce vous, mon Prince, luy dit-elle, vous vous estes bien fait attendre. Le Prince charme de ces paroles, & plus encore de la maniere dont elles estoient dites, ne scavoit comment luy temoigner sa joye & sa reconnoissance; il l'a.s.sura qu'il l'aimoit plus que luy-mesme. Ses discours furent mal rangez, ils en plurent davantage, peu d'eloquence, beaucoup d'amour: Il estoit plus embara.s.se qu'elle, & l'on ne doit pas s'en estonner; elle avoit eu le temps de songer a ce qu'elle auroit a luy dire; car il y a apparence, (l'Histoire n'en dit pourtant rien) que la bonne Fee pendant un si long sommeil, luy avoit procure le plaisir des songes agreables. Enfin il y avoit quatre heures qu'ils se parloient, & ils ne s'etoient pas encore dit la moitie des choses qu'ils avoient a se dire.
Cependant tout le Palais s'estoit reveille avec la Princesse; chacun songeoit a faire sa charge, & comme ils n'estoient pas tous amoureux, ils mouroient de faim; la Dame d'honneur pressee comme les autres, s'impatienta, & dit tout haut a la Princesse que la viande estoit servie. Le Prince aida a la Princesse a se lever; elle estoit tout habillee & fort magnifiquement; mais il se garda bien de luy dire qu'elle estoit habillee comme ma mere grand, & qu'elle avoit un collet monte, elle n'en estoit pas moins belle. Ils pa.s.serent dans un Salon de miroirs, & y souperent, servis par les Officiers de la Princesse; les Violons & les Hautbois jouerent de vieilles pieces, mais excellentes, quoy qu'il y eut pres de cent ans qu'on ne les jouast plus; & apres soupe sans perdre de temps, le grand Aumonier les maria dans la Chapelle du Chateau, & la Dame-d'honneur leur tira le rideau; ils dormirent peu, la Princesse n'en avoit pas grand besoin, & le Prince la quitta des le matin pour retourner a la Ville, ou son Pere devoit estre en peine de luy: le Prince luy dit, qu'en cha.s.sant il s'estoit perdu dans la forest, & qu'il avoit couche dans la hutte d'un Charbonnier, qui luy avoit fait manger du pain noir & du fromage. Le Roi son pere qui estoit bon-homme, le crut, mais sa Mere n'en fut pas bien persuadee, & voyant qu'il alloit presque tous les jours a la cha.s.se, & qu'il avoit toujours une raison en main pour s'excuser, quand il avoit couche deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu'il n'eut quelque amourette: car il vecut avec la Princesse plus de deux ans entiers, & en eut deux enfans, dont le premier qui fut une fille, fut nommee l'Aurore, & le second un fils, qu'on nomma le Jour, parce qu'il paroissoit encore plus beau que sa soeur. La Reine dit plusieurs fois a son fils, pour le faire expliquer, qu'il falloit se contenter dans la vie, mais il n'osa jamais se fier a elle de son secret; il la craignoit quoy qu'il l'aimast, car elle estoit de race Ogresse, & le Roi ne l'avoit epousee qu'a cause de ses grands biens; on disoit meme tout bas a la Cour qu'elle avoit les inclinations des Ogres, & qu'en voyant pa.s.ser de pet.i.ts enfans, elle avoit toutes les peines du monde a se retenir de se jetter sur eux; ainsi le Prince ne voulut jamais rien dire. Mais quand le Roy fut mort, ce qui arriva au bout de deux ans, & qu'il se vit le maistre, il declara publiquement son Mariage, & alla en grande ceremonie querir la Reine sa femme dans son Chasteau. On luy fit une entree magnifique dans la Ville Capitale, ou elle entra au milieu de ces deux enfans. Quelque temps apres le Roi alla faire la guerre a l'Empereur Cantalab.u.t.te son voisin. Il laissa la Regence du Royaume a la Reine sa mere, & luy recommanda fort sa femme & ses enfans: il devoit estre a la guerre tout l'Este, & des qu'il fut parti, la Reine-Mere envoya sa Bru & ses enfans a une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus ais.e.m.e.nt a.s.souvir son horrible envie.
Elle y alla quelques jours apres, & dit un soir a son Maistre d'Hotel, je veux manger demain a mon diner la pet.i.te Aurore. Ah! Madame, dit le Maistre d'Hotel; je le veux, dit la Reine (& elle le dit d'un ton d'Ogresse, qui a envie de manger de la chair fraische) & je la veux manger a la Sausse-robert. Ce pauvre homme voyant bien qu'il ne falloit pas se jouer a une Ogresse, prit son grand cousteau, & monta a la chambre de la pet.i.te Aurore: elle avoit pour lors quatre ans, & vint en sautant & en riant se jetter a son col, & luy demander du bon du bon. Il se mit a pleurer, le couteau luy tomba des mains, & il alla dans la ba.s.se-cour couper la gorge a un pet.i.t agneau, et luy fit une si bonne sausse, que sa Maitresse l'a.s.sura qu'elle n'avoit jamais rien mange de si bon. Il avoit emporte en meme temps la pet.i.te Aurore, & l'avoit donnee a sa femme pour la cacher, dans le logement qu'elle avoit au fond de la ba.s.se-cour. Huit jours apres la mechante Reine dit a son Maistre-d'Hotel, je veux manger a mon souper le pet.i.t Jour: il ne repliqua pas, resolu de la tromper comme l'autre fois; il alla chercher le pet.i.t Jour, & le trouva avec un pet.i.t fleuret a la main, dont il faisoit des armes avec un gros Singe, il n'avoit pourtant que trois ans: il le porta a sa femme qui le cacha avec la pet.i.te Aurore, & donna a la place du pet.i.t Jour, un pet.i.t chevreau fort tendre, que l'Ogresse trouva admirablement bon.
Cela estoit fort bien alle jusques-la, mais un soir cette mechante Reine dit au Maistre-d'Hotel, je veux manger la Reine a la mesme sausse que ses enfans. Ce fut alors que le pauvre Maistre-d'Hotel desespera de la pouvoir encore tromper. La jeune Reine avoit vingt ans pa.s.sez, sans compter les cent ans qu'elle avoit dormi: sa peau estoit un peu dure, quoyque belle & blanche; & le moyen de trouver dans la Menagerie une beste aussi dure que cela: il prit la resolution pour sauver sa vie, de couper la gorge a la Reine, & monta dans sa chambre, dans l'intention de n'en pas faire a deux fois; il s'excitoit a la fureur, & il entra le poignard a la main dans la chambre de la jeune Reine: Il ne voulut pourtant point la surprendre, & il lui dit avec beaucoup de respect, l'ordre qu'il avoit receu de la Reine-Mere. Faites vostre devoir, luy dit-elle, en lui tendant le col; executez l'ordre qu'on vous a donne; j'irai revoir mes enfans, mes pauvres enfans que j'ay tant aimez, car elle les croyoit morts depuis qu'on les avoit enlevez sans lui rien dire. Non, non, Madame, lui repondit le pauvre Maistre-d'Hotel tout attendri, vous ne mourrez point, & vous ne laisserez pas d'aller revoir vos chers enfans, mais ce sera chez moy ou je les ay cachez, & je tromperay encore la Reine, en luy faisant manger une jeune b.i.+.c.he en vostre place. Il la mena aussi-tost a sa chambre, ou la laissant embra.s.ser ses enfans & pleurer avec eux: il alla accommoder une b.i.+.c.he, que la Reine mangea a son soupe, avec le meme appet.i.t que si c'eut este la jeune Reine. Elle estoit bien contente de sa cruaute, & elle se preparoit a dire au Roy a son retour, que les loups enragez avoient mange la Reine sa femme & ses deux enfans.
Un soir qu'elle rodoit a son ordinaire dans les cours & ba.s.se-cours du Chasteau pour y halener quelque viande fraische, elle entendit dans une sale ba.s.se le pet.i.t Jour qui pleuroit, parce que la Reine sa mere le vouloit faire fouetter, a cause qu'il avoit este mechant, & elle entendit aussi la pet.i.te Aurore qui demandoit pardon pour son frere.
L'Ogresse reconnut la voix de la Reine & de ses enfans, & furieuse d'avoir este trompee, elle commande des le lendemain au matin, avec une voix epouventable, qui faisoit trembler tout le monde, qu'on apportast au milieu de la cour une grande cuve, qu'elle fit remplir de c.r.a.paux, de viperes, de couleuvres & de serpens, pour y faire jetter la Reine, & ses enfans, le Maistre-d'Hostel, sa femme & sa servante: elle avoit donne ordre de les amener les mains liees derriere le dos. Ils estoient la, & les bourreaux se preparoient a les jetter dans la cuve, lorsque le Roi qu'on n'attendoit pas si tost, entra dans la cour a cheval; il estoit venu en poste, & demanda tout estonne ce que vouloit dire cet horrible spectacle; personne n'osoit l'en instruire, quand l'Ogresse, enragee de voir ce quelle voyoit, se jetta elle-mesme la teste la premiere dans la cuve, & fut devoree en un instant par les vilaines bestes qu'elle y avoit fait mettre. Le Roi ne laissa pas d'en estre fasche, elle estoit sa mere, mais il s'en consola bientost avec sa belle femme & ses enfans.
MORALITe.
_Attendre quelque temps pour avoir un Epoux, Riche bien-fait, galant & doux, La chose est a.s.sez naturelle, Mais l'attendre cent ans et toujours en dormant, On ne trouve plus de femelle, Qui dormist si tranquillement.
La Fable semble encor vouloir nous faire entendre, Que souvent de l'Hymen les agreables noeuds, Pour estre differez n'en sont pas moins heureux, Et qu'on ne perd rien pour attendre; Mais le s.e.xe avec tant d'ardeur, Aspire a la foy conjugale, Que je n'ay pas la force ny le coeur, De luy prescher cette Morale._
LE PEt.i.t CHAPERON ROUGE
_CONTE._
Il estoit une fois une pet.i.te fille de Village, la plus jolie qu'on eut scu voir; sa mere en estoit folle, & sa mere grand plus folle encore.
Cette bonne femme luy fit faire un pet.i.t chaperon rouge, qui luy seoit si bien, que par tout on l'appelloit le Pet.i.t chaperon rouge.
Un jour sa mere ayant cui & fait des galettes, luy dit, va voir comme se porte ta mere-grand, car on m'a dit qu'elle estoit malade, porte luy une galette & ce pet.i.t pot de beure. Le pet.i.t chaperon rouge part.i.t aussi-tost pour aller chez sa mere-grand, qui demeuroit dans un autre Village. En pa.s.sant dans un bois elle rencontra compere le Loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n'osa, a cause de quelques Bucherons qui estoient dans la Forest. Il luy demanda ou elle alloit; la pauvre enfant qui ne scavoit pas qu'il est dangereux de s'arrester a ecouter un Loup, luy dit, je vais voir ma Mere-grand, & luy porter une galette avec un pet.i.t pot de beurre, que ma Mere luy envoye. Demeure-t'elle bien loin, lui dit le Loup? Oh ouy, dit le pet.i.t chaperon rouge, c'est par de-la le moulin que vous voyez tout la-bas, la-bas, a la premiere maison du Village. Et bien, dit le Loup, je veux l'aller voir aussi; je m'y en vais par ce chemin icy, & toi par ce chemin-la, & nous verrons qui plutost y sera. Le Loup se mit a courir de toute sa force par le chemin qui estoit le plus court, & la pet.i.te fille s'en alla par le chemin le plus long, s'amusant a cueillir des noisettes, a courir apres des papillons, & a faire des bouquets des pet.i.tes fleurs qu'elle rencontroit. Le Loup ne fut pas long-temps a arriver a la maison de la Mere-grand, il heurte: Toc, toc, qui est-la? C'est votre fille le pet.i.t chaperon rouge (dit le Loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une galette, & un pet.i.t pot de beurre que ma Mere vous envoye. La bonne Mere-grand qui estoit dans son lit a cause qu'elle se trouvoit un peu mal, luy cria, tire la chevillette, la bobinette chera, le Loup tira la chevillette, & la porte s'ouvrit. Il se jetta sur la bonne femme, & la devora en moins de rien; car il y avoit plus de trois jours qu'il n'avoit mange. Ensuite il ferma la porte, & s'alla coucher dans le lit de la Mere-grand, en attendant le pet.i.t chaperon rouge, qui quelque temps apres vint heurter a la porte. Toc, toc: qui est la? Le pet.i.t chaperon rouge qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur d'abord, mais croyant que sa Mere-grand estoit enrhumee, repondit, c'est vostre fille le pet.i.t chaperon rouge, qui vous apporte une galette & un pet.i.t pot de beurre que ma Mere vous envoye. Le Loup luy cria, en adoucissant un peu sa voix; tire la chevillette, la bobinette chera. Le pet.i.t chaperon rouge tira la chevillette, & la porte s'ouvrit. Le Loup la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture: mets la galette & le pet.i.t pot de beurre sur la huche, & viens te coucher avec moy. Le pet.i.t chaperon rouge se deshabille, & va se mettre dans le lit, ou elle fut bien estonnee de voir comment sa Mere-grand estoit faite en son deshabille, elle luy dit, ma mere-grand que vous avez de grands bras! c'est pour mieux t'embra.s.ser, ma fille: ma mere-grand que vous avez de grandes jambes? c'est pour mieux courir mon enfant: ma mere-grand que vous avez de grandes oreilles? c'est pour mieux ecouter mon enfant. Ma mere-grand que vous avez de grands yeux?
c'est pour mieux voir, mon enfant. Ma mere-grand que vous avez de grandes dens? c'est pour te manger. Et en disant ces mots, ce mechant Loup se jetta sur le pet.i.t chaperon rouge, & la mangea.
MORALITe.
_On voit icy que de jeunes enfans, Sur tout de jeunes filles, Belles, bien faites, & gentilles, Font tres-mal d'ecouter toute sorte de gens, Et que ce n'est pas chose etrange, S'il en est tant que le loup mange.