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Le Petit Chose Part 9

Le Petit Chose - LightNovelsOnl.com

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L'abbe vivait sombre et seul, dans une pet.i.te chambre qu'il occupait a l'extremite de la maison, ce qu'on appelait le Vieux College.

Personne n'entrait jamais chez lui, excepte ses deux freres, deux mechants vauriens qui etaient dans mon etude et dont il payait l'education....

Le soir, quand on traversait les cours pour monter au dortoir, on apercevait, la-haut, dans les batiments noirs et ruines du vieux college, une pet.i.te lueur pale qui veillait: c'etait la lampe de l'abbe Germane. Bien des fois aussi, le matin, en descendant pour l'etude de six heures, je voyais, a travers la brume, la lampe bruler encore; l'abbe Germane ne s'etait pas couche.... On disait qu'il travaillait a un grand ouvrage de philosophie.

Pour ma part, meme avant de le connaitre, je me sentais une grande sympathie pour cet etrange abbe. Son horrible et beau visage, tout resplendissant d'intelligence, m'attirait. Seulement on m'avait tant effraye par le recit de ses bizarreries et de ses brutalites que je n'osais pas aller vers lui. J'y allai cependant, et pour mon bonheur.

Voici dans quelles circonstances....

Il faut vous dire qu'en ce temps-la j'etais plonge jusqu'au cou dans l'histoire de la philosophie.... Un rude travail pour le pet.i.t Chose!

Or, certain jour, l'envie me vint de lire Condillac. Il me fallait un Condillac coute que coute. Malheureus.e.m.e.nt la bibliotheque du college en etait absolument depourvue, et les libraires de Sarlande ne [54]

tenaient pas cet article-la. Je resolus de m'adresser a l'abbe Germane.

Ses freres m'avaient dit que sa chambre contenait plus de deux mille volumes, et je ne doutais pas de trouver chez lui le livre de mes reves.

Mais ce diable d'homme m'epouvantait, et pour me decider a monter a son reduit ce n'etait pas trop de tout mon amour pour M. de Condillac.

En arrivant devant la porte, mes jambes tremblaient de peur....

Je frappai deux fois tres doucement....

- Entrez! repondit une voix de t.i.tan.

Le terrible abbe Germane etait a.s.sis a califourchon sur une chaise ba.s.se, les jambes etendues, la soutane retroussee et laissant voir de gros muscles qui saillaient vigoureus.e.m.e.nt dans des bas de soie noire.

Accoude sur le dossier de sa chaise, il lisait un in-folio a tranches rouges, et fumait une pet.i.te pipe courte et brune, de celles qu'on appelle "brule-gueule".

- C'est toi! me dit-il en levant a peine les yeux de dessus son in-folio.... Bonjour! Comment vas-tu?... Qu'est-ce que tu veux?

Le tranchant de sa voix, l'aspect severe de cette chambre tap.i.s.see de livres, la facon cavaliere dont il etait a.s.sis, cette pet.i.te pipe qu'il tenait aux dents, tout cela m'intimidait beaucoup.

Je parvins cependant a expliquer tant bien que mal l'objet de ma visite et a demander le fameux Condillac.

- Condillac! tu veux lire Condillac! me repondit l'abbe Germane en souriant. Quelle drole d'idee!... Est-ce que tu n'aimerais pas mieux fumer une pipe avec moi? Decroche-moi ce joli calumet qui est pendu la-[55] bas, contre la muraille, et allume-le...; tu verras, c'est bien meilleur que tous les Condillac de la terre.

Je m'excusai du geste, en rougissant.

- Tu ne veux pas?... A ton aise, mon garcon.... Ton Condillac est la-haut, sur le troisieme rayon a gauche... tu peux l'emporter; je te le prete. Surtout ne le gate pas, ou je te coupe les oreilles.

J'atteignis le Condillac sur le troisieme rayon a gauche, et je me disposais a me retirer; mais l'abbe me retint.

- Tu t'occupes donc de philosophie? me dit-il en me regardant dans les yeux.... Est-ce que tu y croirais, par hasard?... Des histoires, mon cher, de pures histoires!... Et dire qu'ils ont voulu faire de moi un professeur de philosophie! Je vous demande un peu!... Enseigner quoi? zero, neant.... Ils auraient pu tout aussi bien, pendant qu'ils y etaient, me nommer inspecteur general des etoiles ou controleur des fumees de pipe.... Ah! misere de moi! Il faut faire parfois de singuliers metiers pour gagner sa vie.... Tu en connais quelque chose, toi aussi, n'est-ce pas?.... Oh! tu n'as pas besoin de rougir. Je sais que tu n'es pas heureux, mon pauvre pet.i.t pion, et que les enfants te font une rude existence.

Ici l'abbe Germane s'interrompit un moment. Il paraissait tres en colere et secouait sa pipe sur son ongle avec fureur. Moi, d'entendre ce digne homme s'apitoyer ainsi sur mon sort, je me sentais tout emu, et j'avais mis le Condillac devant mes yeux, pour dissimuler les grosses larmes dont ils etaient remplis.

Presque Aussitot l'abbe reprit:

- A propos! j'oubliais de te demander.... Aimes-[56] tu le bon Dieu?...

Il faut l'aimer, vois-tu! mon cher, et avoir confiance en lui, et le prier ferme; sans quoi tu ne t'en tireras jamais....

Aux grandes souffrances de la vie je ne connais que trois remedes: le travail, la priere et la pipe, la pipe de terre, tres courte, souviens-toi de cela.... Quant aux philosophes, n'y compte pas; ils ne te consoleront jamais de rien. J'ai pa.s.se par la, tu peux m'en croire.

- Je vous crois, monsieur l'abbe.

- Maintenant, va-t'en, tu me fatigues.... Quand tu voudras des livres, tu n'auras qu'a venir en prendre. La clef de ma chambre est toujours sur la porte, et les philosophes toujours sur le troisieme rayon a gauche....

Ne me parle plus.... Adieu!

La-dessus, il se remit a sa lecture et me laissa sortir, sans meme me regarder.

A partir de ce jour j'eus tous les philosophes de l'univers a ma disposition; j'entrais chez l'abbe Germane sans frapper, comme chez moi.

Le plus souvent, aux heures ou je venais, l'abbe faisait sa cla.s.se, et la chambre etait vide. La pet.i.te pipe dormait sur le bord de la table, au milieu des in-folio a tranches rouges et d'innombrables papiers couverts de pattes de mouches.... Quelquefois aussi l'abbe Germane etait la. Je le trouvais lisant, ecrivant, marchant de long en large, a grandes enjambees. En entrant, je disais d'une voix timide:

- Bonjour, monsieur l'abbe!

La plupart du temps il ne me repondait pas.... Je prenais mon philosophe sur le troisieme rayon a gauche, et je m'en allais, sans qu'on eut seulement l'air de soupconner ma presence.... Jusqu'a la fin de l'annee [57] nous n'echangeames pas vingt paroles; mais n'importe! quelque chose en moi-meme m'avertissait que nous etions de grands amis....

Cependant les vacances approchaient.

Enfin le grand jour arriva. Il etait temps; je n'y plus tenir.

On distribua les prix dans ma cour, la cour des moyens.... Je la vois encore avec sa tente bariolee, ses murs couverts de draperies blanches, ses grands arbres verts pleins de drapeaux.... Au fond, une longue estrade ou etaient installees les autorites du college dans des fauteuils en velours grenat.... Oh!

L'abbe Germane etait sur l'estrade, lui aussi, mais il ne paraissait pas s'en douter. Allonge dans son fauteuil, la tete renversee, il ecoutait ses voisins d'une oreille distraite et semblait suivre de l'il, a travers le feuillage, la fumee d'une pipe imaginaire....

Au pied de l'estrade la musique, trombones et ophicleides, reluisant au soleil; les trois divisions enta.s.sees sur des bancs, avec les maitres en serre-file; puis, derriere, la cohue des parents, le professeur de seconde offrant le bras aux dames en criant: "Place! place!" et enfin, perdues au milieu de la foule, les clefs de M. Viot qui couraient d'un bout de la cour a l'autre et qu'on entendait-frinc! frinc! frinc!- a droite, a gauche, ici, partout en meme temps.

La ceremonie commenca, il faisait chaud. Pas d'air sous la tente....

Il y avait de grosses dames cramoisies qui sommeillaient a l'ombre de leurs marabouts, et des messieurs chauves qui s'epongeaient la tete avec des foulards ponceau. Tout etait rouge: les visages, [58]

les tapis, les drapeaux, les fauteuils.... Nous eumes trois discours, qu'on applaudit beaucoup; mais moi, je ne les entendis pas.

La-haut, derriere la fenetre du premier etage, les yeux noirs cousaient a leur place habituelle, et mon ame allait vers eux.... Pauvres yeux noirs!

meme ce jour-la, la fee aux lunettes ne les laissait pas chomer....

Quand le dernier nom du dernier accessit de la derniere cla.s.se eut ete proclame, la musique entama une marche triomphale et tout se debanda.

Tohu-bohu general. Les professeurs descendaient de l'estrade; les eleves sautaient par-dessus les bancs pour rejoindre leurs familles.

On s'embra.s.sait, on s'appelait: "Par ici! par ici!" Les surs des laureats s'en allaient fierement avec les couronnes de leurs freres.

Les robes de soie faisaient froufrou a travers les chaises....

Immobile derriere un arbre, le pet.i.t Chose regardait pa.s.ser les belles dames, tout malingre et tout honteux dans son habit rape.

Peu a peu la cour se desemplit. A la grande porte le princ.i.p.al et M. Viot se tenaient debout, caressant les enfants au pa.s.sage, saluant les parents jusqu'a terre.

- A l'annee prochaine, a l'annee prochaine! disait le princ.i.p.al avec un sourire calin.... Les clefs de M. Viot tintaient, pleines de caresses: "Frinc! frinc! frinc! Revenez-nous, pet.i.ts amis, revenez-nous l'annee prochaine."

Les enfants se laissaient embra.s.ser negligemment et franchissaient l'escalier d'un bond.

Ceux-la montaient dans de belles voitures armoriees, ou les meres et les surs rangeaient leurs [59] grandes jupes pour faire place.

Clic! clac!... En route vers le chateau!... Nous allons revoir nos parcs, nos pelouses, l'escarpolette sous les acacias, les volieres pleines d'oiseaux rares, la piece d'eau avec ses deux cygnes, et la grande terra.s.se a bal.u.s.tres ou l'on prend des sorbets le soir.

D'autres grimpaient dans les chars a banc de famille, a cote de jolies filles riant a belles dents sous leurs coiffes blanches. La fermiere conduisait avec sa chaine d'or autour du cou.... Fouette, Mathurine!

On retourne a la metairie; on va manger des beurrees, boire du vin muscat, cha.s.ser a la pipee tout le jour et se rouler dans le foin qui sent bon!

Heureux enfants! ils s'en allaient, ils partaient tous.... Ah! si j'avais pu partir moi aussi....

[Le Pet.i.t Chose breaks down owing to overstrain, and for five days is in a state of delirium. His farther, who happens to be in the neighbourhood on business, comes to see his son, and finding him in this precarious state, watches over him day and night till called away.]

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About Le Petit Chose Part 9 novel

You're reading Le Petit Chose by Author(s): Alphonse Daudet. This novel has been translated and updated at LightNovelsOnl.com and has already 649 views. And it would be great if you choose to read and follow your favorite novel on our website. We promise you that we'll bring you the latest novels, a novel list updates everyday and free. LightNovelsOnl.com is a very smart website for reading novels online, friendly on mobile. If you have any questions, please do not hesitate to contact us at [email protected] or just simply leave your comment so we'll know how to make you happy.